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W PROJECT

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Il y a l’avant et l’arrière : les coulisses chaotiques d’une avant-scène plus présentable. Une métaphore du seuil/du passage : il y a un avant et un après. À l’avant, il y a eu les ateliers de Steinitz, le « prince des antiquaires », où les artisans gardaient jalousement leurs secrets d’alchimistes. Il y a eu les galeries d’art et de design, les galeristes et les puciers. Il y a eu Habitat Vintage, où la marque, pour qui je travaillait, contemplait sa propre histoire. J’ai découvert cette avant-scène alors que je photographiais son portail, pour annoncer aux clients l’ouverture du lieu au public. Puis nous avons converti certains des bâtiments en studios de photo — étranges. En composant le code de la petite porte d’entrée, j’ai toujours eu en tête le court-métrage La reprise du travail aux usines Wonder*, le visage de la colère et du désarroi de cette ouvrière au sortir de la grève, refusant de reprendre son poste, de franchir à nouveau le seuil de cette porte. 

 

Les puces sont mortes la semaine, nous nous sentions seuls, parfois très seuls, dans cet îlot. Et puis un jour Hervé Giaoui (alors Président d'Habitat) m’interpelle : « Va photographier l’arrière, tu verras c’est dingue. » C’est dingue. À l’arrière, derrière la palissade de chantier fermée avec une chaîne et parfois surveillée par un maître-chien, on traverse un monde de destruction et de création. La structure est fragile, les incendies ont transformé le matériau en matière ; partout du verre brisé, la rouille a tout rongé, l’ossature est à vif. On a muré, obstrué, cadenassé pour sécuriser au mieux, mais on a défoncé, éventré pour pénétrer dans les lieux. La végétation s’est imposée dans ce décor d’opéra postapocalyptique. Des tags « tirs de balles », « danger » inquiètent et le sentiment d’effondrement imminent s’immisce. Il me faut échapper à la vigilance des employés Steinitz et à celles des artistes squatters, réfractaires à voir photographier leurs œuvres. L’archéologie, la carotte sédimentaire, le palimpseste. L’histoire est riche, le site regorge de ses traces : un plan des ateliers, une palette de couleurs peinte à même le mur, de lourdes machines suspendues, une ligne de production, des bidons à tête de mort, un décor de statuaires africaines en stuc de dix mètres par dix, la statue ocre d’un homme s’agrippant à un tronc d’arbre, des graffitis par centaines, comme autant d’emblèmes, de métonymies du site. Embarqué dans cette déambulation surréaliste, on évolue dans un cabinet de curiosités à grande échelle où s’entremêlent les marqueurs des activités qui s’y sont succédé.

 

* Un film de Pierre Bonneau, Liane Estiez-Willemont, Jacques Willemont, France | 1968

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